Légion d'honneur


"... quelques petites idées sur ce qui a pu motiver cette décision,
ou du moins 

 la signification que je veux lui donner..."






À la fin du week-end dernier au retour de mon travail au restaurant d’altitude
« la Gélinotte », dans les montagnes de Belledonne, j’ai appris, par un e-mail,
que j’étais nommé chevalier de la Légion d’honneur.

Très, très surpris, j’ai relu deux fois le message... puis j’ai essayé de comprendre.
Avec, dans un premier temps, des hésitations :
- si la reconnaissance par la collectivité d’actions individuelles  pour valoriser, encourager des engagements forts pour nos vies, pour tout le vivant sur notre planète, peut paraître légitime, utile, bénéfique à tous….
-  j’ai aussi eu une désagréable impression, celle d'être associé à ces milieux où règne l’entre-soi des allées de pouvoirs, internationaux, économiques, politiques, l’entre-soi des notables et des lobbys en tout genre… certains ne rêvant même que de ces distinctions !
Ce n’est pas du tout le monde qui me fait rêver. Ce n'est en aucun cas ce "bal des egos" qui va permettre, de stopper la destruction de la vie terrestre, de contribuer à une vie en harmonie, à une vie respectueuse et belle, des humains et du monde vivant.
- Je suis forcé de constater, à regarder la liste des nominés au fil des ans, que ce sont le plus souvent des personnes disposant de positions élevées qui sont distinguées, et rarement des acteurs de base de la société, qui œuvrent dans l'entraide, la solidarité, l'éducation, l'environnement ou la cohésion sociale qui mériteraient amplement d'être « distingués » et valorisés


Je n’avais jamais pensé, une seule seconde, recevoir un jour une telle distinction et je n’ai pas eu connaissance des raisons de ma nomination à la Légion d’honneur. J’ai lu dans le Journal Officiel que cela avait été proposé par le ministère de la Cohésion des Territoires.
Après discussion avec mes proches et avec mes amis de Mountain Wilderness, j’ai décidé d’accepter « cette reconnaissance de la Nation ».
Avec quand même quelques petites idées sur ce qui a pu motiver cette décision…
… ou du moins la signification que je veux lui donner :


1) Avec Mountain Wilderness et l’association 2TM, nous avons initié une démarche nouvelle qui a commencé à se réaliser avec les « États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne » (fin septembre 2021). Un travail inédit avec, c’est vrai, une ambition énorme :
encourager tous les acteurs de la montagne, qui ont trop l’habitude de s’engager isolément, dans leurs couloirs respectifs, à travailler réellement ensemble, à réfléchir le plus posément possible de leurs désaccords, à écouter attentivement les différents points de vue, à chercher ce qui nous rassemble, à imaginer ensemble la vie, le futur, dans nos montagnes. C’est vrai, au niveau de nos grandes chaînes montagneuses françaises et européennes, mais aussi dans chacune de nos vallées, ou massifs.
Face aux immenses défis, aux extrêmes urgences climatiques, écologiques, sociétales (une situation complètement inédite pour chacun de nous), la solution n’est pas de s’en remettre à quelqu’un en particulier, ou à un groupe en particulier, mais plutôt d'investir au maximum sur un vrai travail en intelligence collective, pour des actions concrètes et des politiques complètement tournées vers l’intérêt général. 
À ce propos, je partage volontiers cette citation d’Albert Jacquard :
« "Réussir" est devenu l'obsession générale dans notre société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à l'emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair que la principale performance de chacun est sa capacité à participer à l'intelligence collective, à mettre en sourdine son "je" et à s'insérer dans le "nous", celui-ci étant plus riche que la somme des "je" dans laquelle l'attitude compétitive enferme chacun. »



2) Je voudrais que cette « distinction » soit aussi et surtout la reconnaissance de ce bouillonnement créatif, de cette multitude d’engagements forts portés par des "acteurs de terrain" qui émergent un peu partout dans nos territoires de montagne.
Ils ne sont pas toujours très visibles, lisibles pour le grand public, pour les médias, mais des jeunes (et des moins jeunes) de plus en plus nombreux essayent de faire vivre nos territoires à l’année et dans tous les domaines, artisanaux, agricoles, artistiques, économiques ou d’accompagnement pour partager et découvrir nos montagnes dans toutes leurs richesses. Elles et ils jouent et vont jouer un rôle déterminant pour la transition écologique et notre devenir dans des montagnes vivantes et respectées !
Et bien sûr la reconnaissance du travail de mes collègues, les gardiennes et gardiens de refuge. Une profession engagée, qui a énormément évolué ces derniers temps et qui, au coté des accompagnateurs, guides de haute montagne ou autres professionnels s'engage de plus en plus fortement pour le partage et le respect de nos montagnes.



3) Pour moi, ce qui doit être reconnu est aussi et surtout la beauté, comme une immense richesse de nos montagnes. Une beauté qui fait un bien fou, une beauté essentielle pour nos vies. Nous avons la chance d'être accueillis dans ces montagnes magnifiques, sur une planète, probablement la plus belle de l'univers, cela mérite tout notre respect.
Par exemple,  en stoppant immédiatement toute nouvelle artificialisation de ces espaces naturels, déjà fragilisés ! Nos montagnes sont les derniers territoires en Europe où... les routes s’arrêtent, où au-delà des dernières maisons habitées, la vie sauvage existe, résiste encore, bel et bien.
Plus haut, le joyau de la haute altitude impressionnante, toute de roc et de glace,  nous ouvre un autre monde, porteur de rêves. Un monde où la perception de notre vulnérabilité incite au respect, aux engagements forts, à la recherche d’harmonie. Au partage, d’expériences de vie exceptionnelles….



4)
Je voudrais enfin qu'à travers moi soit reconnu le très beau travail de Mountain Wilderness France, une ONG qui œuvre pour la protection de la montagne depuis plus de 30 ans autour de ses campagnes emblématiques, "Installations obsolètes, Changer d'approche, silence...", une ONG qui a su s’adapter aux nouveaux enjeux, aux nouvelles urgences, en cherchant à travailler en partenariat avec l’ensemble des acteurs. Avec la forte motivation  que tous les amoureux de la montagne arrivent à se fédérer. Pour ensemble et durablement réussir à « faire cohabiter montagne sauvage et montagnes à vivre ».
Cette ONG appelée « M.W », historiquement toujours dirigé par des hommes, est en passe de réussir une nouvelle démarche de travail avec, une direction plus collective, une équipe salariée renforcée et un engament nouveau, inédit des jeunes et des femmes.

L‘énergie du changement, du rassemblement est à l’œuvre dans nos belles montagnes. 
Merci à toutes et tous !



 Frédi Meignan 
Restaurateur en Belledonne, ancien gardien de refuge en Oisans,
vice président de Mountain Wilderness France
Le 6 janvier 2022